Tarek William Saab, nouveau Procureur Général du Venezuela

Le 15 octobre 2017, une opération conjointe de la police anti-corruption, de la sûreté de l’État et d’un groupe de juges a permis l’arrestation de 11 personnes liées à un des plus gros dossiers de corruption des dernières années au Venezuela : l’octroi de dollars préférentiels par l’Etat à des entreprises privées en vue d’importer des biens de première nécessité. Parmi les patrons appréhendés, Esbeir Ghali Doumat – de Biodanica S.A – a effectué des surfacturations pour plus de… 19000 % ! de 2011 à 2013 après avoir reçu 11,2 millions de dollars pour importer du dioxyde de titanium. Luz María García, José Luis Figuera, Leonardo Solorzano et Luis Alberto Romero, actionnaires privés de l’entreprise Aguas del Orinoco ont surfacturé de 16000 % l’importation d’acide phosphorique après avoir reçu de l’État 15 millions de dollars de 2004 à 2011. Etc… Avec ces arrestations le nombre de personnes inculpées atteint déjà 21 personnes, et autant de mandats d’arrêt ont été lancés contre d’autres entrepreneurs accusés de fraude à l’importation.

Ce dossier avait été mis sous le boisseau par la procureure générale Luisa Ortega Diaz : on avait même fini par croire que ce « cangrejo » comme disent les vénézuéliens à propos d’affaires inextricables, resterait à jamais impuni. Cette volonté de rattraper le temps perdu, on la doit au nouveau Procureur Général de la République : l’ex-Défenseur des Droits du Citoyen Tarek William Saab nommé à la tête du Ministère Public (MP) au milieu de troubles inédits au sein de cette institution et dans un contexte politique national extrêmement tendu. Cet ensemble de circonstances exceptionnelles explique la difficulté d’une tâche qui concerne, au-delà de Saab, tous les membres du gouvernement : le bras de fer pour redresser l’Etat depuis l’intérieur. Saab vient de recevoir publiquement l’appui le plus total de Nicolas Maduro, qui l’a pressé « d’accélérer les enquêtes, qu’elles qu’en soient les conséquences ».

 

 

Conférence de presse intégrale du Procureur Général de la République, le 18 octobre 2017.

Après que l’opposition vénézuélienne a conquis électoralement l’Assemblée Nationale (AN) en décembre 2015, la gestion de la Procureure Générale Luisa Ortega Diaz (1) à la tête du Ministère Public, a contribué à démembrer l’Etat depuis l’intérieur, créant un terrain favorable à l’impunité des affaires les plus importantes en matière de financement du secteur privé ou de fraudes internes dans plusieurs macro-entreprises publiques. « En outre, le Ministère Public a favorisé l’impunité de ceux qui avaient planifié une confrontation violente avec appui paramilitaire pour plonger la société et l’Etat dans une situation de guerre » précise Saab. Une situation délétère qui a pris fin le 30 juillet 2017 grâce à la mobilisation citoyenne pour élire une Assemblée Constituante.

Le 5 août 2017, l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) lors de son premier jour de travail (à l’unanimité de ses membres et sur proposition de Diosdado Cabello), a approuvé la destitution de la procureure générale par le Tribunal Suprême de Justice. Ortega Diaz, soutenue par la majorité de droite de l’Assemblée Nationale et des membres de la Table de l’Unité Démocratique (MUD, coordination de l’opposition) s’est opposée à cette décision, avant de prendre la fuite vers la Colombie.

C’est dans ce contexte que Tarek William Saab a été désigné par la Constituante pour prendre la tête du Ministère Public (MP), avec un lourd handicap : Ortega Diaz laissait derrière elle un réseau de corruption particulièrement complexe d’extorsions, de passivité délibérée, d’impunité organisée.

Les cas étudiés par l’actuel cabinet du Procureur Général de la République (FGR) sont variés et ont des ramifications diverses; mais, mise à part la permissivité déjà mentionnée vis-à-vis des violences de l’extrême droite, tous les cas ont un dénominateur commun: les détournements de fonds.

Au cours du bilan de son premier mois de gestion devant la Constituante au siège du Palais Fédéral Législatif, Tarek William Saab a évoqué le cas de Cadivi-Cencoex (organismes publics chargés de l’octroi des dollars préférentiels) en faisant remarquer que 80% des entreprises jugées pour irrégularités dans l’utilisation des devises ont bénéficié d’un non-lieu et seulement 20% ont été sanctionnées.

Saab a expliqué qu’ une de ces compagnies, principalement dans le secteur de l’alimentation, spéculaient à 82.000% sur les importations de Cencoex : « D’après moi une partie de l’origine du drame que traverse notre pays se trouve dans l’affaire Cadivi-Cencoex ». Il a insisté sur le fait qu’il faut geler des comptes, rapatrier l’argent et arrêter toutes les personnes impliquées dans cette affaire. « L’ex-procureure générale de la République avait tout caché et archivé, c’est elle la principale responsable ».

L’ex-Procureure Générale Luisa Ortega Diaz

Mercredi 27 septembre, au cours d’une conférence de presse, le Procureur Saab a également annoncé que 900 entreprises ont fait des bénéfices en surévaluant des produits chimiques obtenus grâce à l’attribution de devises par Cadivi-Cencoex ; 19 d’entre elles sont mises en examen par le MP.

Il a donné des détails sur 3 d’entre elles. « Nous avons perquisitionné à quatre reprises la Corporation Bates Hill CA, chargé des services funéraires. Elle a enregistré une filiale au Panama qui lui permettait de détourner les devises. A partir de cette entreprise 25 autres entreprises ont été créées qui ont dévié 17,2 millions de dollars » a déclaré Saab. Les frères Juan Miguel et Andrés Lozano Espinoza ont été arrêtés « en raison de leur implication dans les délits d’obtention illicite de devises, de blanchiment de capitaux et d’association de malfaiteurs ».

Tarek William Saab a précisé qu’ils ont reçu plus de 15 millions de dollars puisqu’« ils ont tiré profit de la simplification des démarches. Je pense que tout cela n’a pas pu se faire sans complicité ». On calcule que les surcoûts ont atteint 130.000%. Magma Mineral Glob, dont le propriétaire est Walter Jaramillo a reçu presque 9 millions de dollars. Jaramillo a pris la fuite et est actuellement recherché par Interpol. Sans adresse fiscale, la Coopérative Fortezza Da Brazzo RL, a reçu 28 millions de dollars entre 2005  et 2013. Ses actionnaires, Elisaúl Tejada, Isaberio Porta, José Rosario et Laura Muñoz sont également recherchés par Interpol.

La finalité de l’enquête selon Saab : rapatrier les capitaux cédés à des entreprises privées par l’Etat.

C’est ainsi que tout un réseau de corruption a été révélé ; il implique depuis des fonctionnaires publics jusqu’à des entreprises, qui, tous, ont été mis en examen. Le sujet est si sensible qu’il a fallu que l’organisme de Défense des Droits du Citoyen intervienne dans ces processus d’enquêtes qui avaient été relégués au fond des tiroirs par l’ancienne gestion du MP.

La réouverture des dossiers est un sujet qui, même s’il semble administratif et associé à l’économie, est un point d’honneur politique. C’est dans le détournement de devises que réside la plus haute, pernicieuse et traditionnelle corruption dans l’économie pétro-rentière vénézuélienne. On perçoit enfin une volonté politique de rechercher les responsables des désastres de la guerre économique au plus haut niveau.

Saab a été formel en ce qui concerne le but des enquêtes sur ces dossiers : rapatrier les capitaux accordés à des organismes privés par le réseau d’extorsion et le « cabinet privé » de Luisa Ortega, où des procureurs demandaient de l’argent pour ne pas formuler d’accusation contre les personnes concernées par les enquêtes ouvertes par le ministère public.

Cette affaire a conduit à l’imputation de German Ferrer, l’époux de l’ex-procureure et à la perquisition de leur domicile, en raison de la découverte de plus de 6 millions de dollars sur des comptes ouverts dans des paradis fiscaux par un groupe de procureurs du Ministère Public, désignés par Ferrer lui-même et Gioconda Gonzalez, adjointe de l’ex-procureure Luisa Ortega et directrice du bureau de cette institution pendant de nombreuses années.

L’enquête contre ce réseau d’extorsion organisé au plus haut niveau a visé l’avocat José Rafael Parra Saluzzo (2), propriétaire du cabinet Parra Saluzzo, qui a été arrêté à la mi-septembre,  accusé d’’extorsion, d’association de malfaiteurs et de trafic d’influences.

D’après Saab, l’organisation destinée à l’extorsion « a commencé comme un cartel, une mafia du plus haut calibre », depuis des petits fonctionnaires jusqu’à des personnes faisant partie de la plus haute hiérarchie ». Parmi les délits « les plus visibles » on trouve « le trafic d’influences, la perception de commissions » a-t-il affirmé. « Pour tout cela (l’ex-procureure Luisa Ortega) disposait d’un cabinet à son service, et nous avons des preuves… Un citoyen nommé Parra Saluzzo… C’est ce même cabinet qui a été engagé pour les affaires les plus scandaleuses de ces derniers temps » a précisé Saab.

L’ex-député chaviste Germán Ferrer, époux de Luisa Ortega Díaz.

L’ouverture de cette enquête et les révélations exposées sur la place publique ont provoqué la fuite de Luisa Ortega et de son époux German Ferrer qui ont précipitamment quitté le pays. Ortega a depuis multiplié les effets d’annonce sur les preuves qu’elle détiendrait à propos de la corruption du président Maduro.

Par ailleurs Tarek William Saab a contribué à « faire sauter le bouchon » de la plus grande affaire de  corruption au sein de l’industrie du pétrole du Venezuela de l’histoire récente. Il s’agit d’un détournement lié au projet phare de l’Etat, la Bande Pétrolifère de l’Orénoque (Faja Petrolifera del Orinoco – FPO). Ici Luisa Ortega Diaz semble mêlée de près au détournement estimé à au moins 200 millions de dollars au détriment de la nation, lors de négociations de l’entreprise nationale de pétrole Pdvsa « réalisées par la direction de la Bande Pétrolifère de l’Orénoque ( Faja Petrolifera del Orinoco) ».

« Je tiens pour responsable et j’accuse directement l’ex-titulaire du Ministère Public de cette permissivité, et je le dis sans détour, dans le détournement d’argent via des contrats de Pdvsa au détriment de la nation signés par la direction de la Bande Pétrolifère de l’Orénoque dans la période comprise entre 2010 et 2016 »

L’enquête de Saab a freiné le « coup d’État pétrolier ».

Le nouveau Procureur Général Saab a indiqué que Pdvsa (entreprise publique du pétrole) a collaboré dans l’enquête et que  « des contrats de services et d’approvisionnements avec d’importantes surtaxes ont été découverts » ce qui a conduit à une « investigation partielle ».  « Nous avons retenu un échantillon de 12 contrats avec 10 entreprises » parmi lesquelles se trouvent  Cuferca, Cooperativa Servicio de Oriente, Servicios Construcciones Romara y Metroemergencias. Le surcoût des contrats est estimé à 230%.

Il a également signalé qu’il a demandé à la Cour des Comptes et à Pdvsa de désigner des inspecteurs pour évaluer les modalités des contrats, et a indiqué que les propriétaires des entreprises seraient cités à comparaître pour expliquer les chiffres. Les délits qui pourraient leur être imputés dans ce cas sont ceux d’occultation de malversations concernant des licitations, détournement de fonds publics, association de malfaiteurs.

Cette affaire a fini par révéler un réseau très solide de détournement d’actifs nationaux, et a permis la désactivation de fait d’un « complot pétrolier » contre les finances du pays et contre les associations internationales de Pdvsa  qui s’opèrent avec des entreprises alliées et amies grâce à des entreprises mixtes. Le président Maduro a exigé de « nettoyer en profondeur » l’entreprise pétrolière.

La Frange Pétrolière de l’Orénoque et les entreprises associées.

Un mandat d’arrêt a été lancé contre Carlos Esteban Urbano Fermin, membre du groupe Cufeca, propriétaire de l’entreprise Constructora Cuferca, l’illustre. Comme l’a signalé le site internet d’investigations « La Tabla », la compagnie Cuferca est propriétaire d’un groupe dirigé par le chef d’entreprise  Carlos Urbano Fermin. Il s’agit d’un regroupement constitué à l’origine par une société de construction, une compagnie de transport et une manufacture de bois. A l’extérieur Urbano Fermin apparaît comme le directeur de trois compagnies déclarées à Miami en 2012, dans lesquelles se trouvent une entreprise de construction et la firme Grand Coke, qui le relie aux affaires en lien avec ce sous-produit du pétrole brut. Il fait également partie de six entreprises créées au Panama en 2014, et d’une autre en République Dominicaine en 2016. Le groupe Cuferca est partenaire de l’entreprise mixte Servicios Logisticos Petroleros Orinoco (constituée en octobre 2014)  avec Pdvsa comme associé principal. Cuferca a été mise en examen pour irrégularités lors de l’achat de FPU (Unités flottantes de production)  – qui n’ont jamais été mises en place – pour l’industrie du pétrole, où des contrats signés avec les entreprises publiques Petropiar, Petrocedeño et Petromonagas, entreprises mixtes de la FPO ont été trouvés.

L’avocat José Rafael Parra Saluzzo a été engagé par Cuferca pour conseiller l’entreprise en matière de défense pénale dans le procès ouvert suite à l’enquête sur les FPU. La Sudeban a découvert des transactions considérées comme irrégulières entre Cuferca et Parra Saluzzo, ce qui a donné lieu à un rapport d’activité suspecte en juillet dernier et la mobilisation des autorités de police qui ont agi contre cet avocat.

Saab a indiqué que le cabinet de Parra Saluzzo représentait également la macro-entreprise brésilienne Odebrecht au Venezuela, face aux accusations de corruption portées par différents parquets de la région. En ce qui concerne l’affaire qui implique l’entreprise de construction brésilienne, Saab a déclaré qu’Odebrecht livrerait des témoignages de personnes impliquées dans la machination frauduleuse, tout cela dans le cadre de réunions de travail entre la nouvelle institution pénale publique, et la compagnie brésilienne au Venezuela. Il faut rappeler que Parra Saluzzo est le même opérateur privé dans le réseau d’extorsion découverte au sein du Ministère Public, et maintenait des relations étroites et fréquentes avec des fonctionnaires de confiance du bureau du Procureur Général de l’ex-procureur Luisa Ortega Diaz. De plus il a représenté à plusieurs reprises juridiquement le leader de l’aile la plus violente de l’extrême droite, Leopoldo Lopez.

Une première conclusion sur le nouveau rôle du Ministère Public

Tarek William Saab fait contre la corruption ce que de nombreuses personnes ont réclamé depuis longtemps dans la rue : accélérer les enquêtes appropriées et agir de façon concrète.

Le développement d’un réseau de corruption avec des ramifications essentielles comme l’industrie du pétrole et l’importation de biens grâce aux devises donnés par l’Etat menaient à une fracture du gouvernement depuis l’intérieur. Faut-il rappeler que 96% des devises du Venezuela proviennent de Pdvsa ? Le fait que des délits graves aient été commis dans les grands projets pétroliers locaux, comme dans le cas de l’entreprise mixte Petro Zamora est un exemple de sabotage qui confine à un acte de guerre en raison des conséquences qu’il entraîne. Pdvsa est une des entreprises les plus importantes du monde, la première dans la région et la cinquième au niveau mondial, qui gère pour l’Etat et la population du Venezuela les  réserves pétrolières souterraines les plus importantes. Ce problème a des répercussions géopolitiques puisque plusieurs entreprises de différents pays liées au développement de l’industrie énergétique locale travaillent dans la Frange Pétrolière de l’Orénoque.

A une époque où le pétrole vénézuélien est évalué en yuans comme alternative au joug du dollar nord-américain, on comprend l’importance de mettre de l’ordre dans les ressources dont dispose le Venezuela, ainsi que dans celles qui vont se développer grâce à des accords avec des partenaires de poids sur l’échiquier géopolitique comme la Chine, la Russie ou l’Iran.

Quant au réseau de  corruption observé depuis longtemps autour de Cadivi-Cencoex, il est peu à peu dévoilé avec des noms et des prénoms, des mises en examen et des enquêtes en cours dans le but de rapatrier les capitaux qui ont été attribués aussi bien à des sociétés d’importation d’aliments, de médicaments et d’autres qui travaillent depuis longtemps avec l’Etat qu’à des entreprises « fantômes », appelées aussi « entreprises-valises » dont les fonds se trouvent à l’étranger (dans des paradis fiscaux) comme l’a décrit Saab lui-même.

L’affaire du géant brésilien Odebrecht, d’un autre côté, a constitué un thème clef dans la mesure où il s’agit d’une initiative venant du Département de justice nord-américain, avec une juridiction aux Etats-Unis à laquelle s’est plié le reste des pays alignés à la politique extérieure des Etats unis dans la région latino-caribéenne; son but est de destituer et de judiciariser la classe politique au détriment d’une politique judiciaire qui respecte les projets nationaux des pays impliqués dans ce réseau. L’initiative de lutte contre la corruption de la part du nouveau MP, avec Tarek William à sa tête, a un mobile différent de celui du juge  brésilien Sergio Moro : protéger le pays de l’internationalisation de la justice dans un but de déstabilisation de l’État. Les actions du nouveau Procureur laissent entendre à la société vénézuélienne tout entière, que  non seulement toutes les affaires qui mettent en cause la sécurité nationale du Venezuela seront résolues quelles qu’en soient les conséquences, mais aussi que sera rétabli l’ordre juridique à l’intérieur de l’Etat-nation vénézuélien. Etat dont la destruction est l’objectif prioritaire de la part du Pentagone et de l’élite néolibérale qui gouverne les Etats-Unis.

Notes :

(1) Lire Mensonges médiatiques contre France Insoumise (partie II) : le digne chavisme de Mr. Bourdin

(2) Ibid.

Source : http://misionverdad.com/gobierno-bolivariano/las-cruzadas-del-ministerio-publico-trabajo-especial

Traduction : Pascale Mantel

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